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Près de Notre-Dame de la Chapelle, dans un ancien faubourg d'Abbeville nommé Thuison (Thuyson en ces temps), se dressent les vestiges d'un superbe bâtiment à l'histoire très chargée. Ce bâtiment a d'abord été une commanderie templière avant d'être un couvent relevant de l'Ordre des Chartreux.
Ce couvent, dédié à Saint-Honoré fut fondé en 1300 par Edouard Ier, roi d'Angleterre et Comte de Ponthieu et Guillaume de Mâcon, évêque d'Amiens sur le terrain d'une maison abritant les Templiers d'Abbeville et alentours. Ceux-ci durent en effet déserter la cité à la suite de la dissolution de l'Ordre des Templiers par le pape Clément V (Cf. "Abbeville et l'Ordre du Temple").
Plusieurs fois détruite, elle fut remise en état à chaque fois par de généreux donateurs jusqu'à ce qu'éclate la Révolution.
Après celle-ci et la dispersion de la communauté des Chartreux, la maison proprement dite avec les cellules et l'église furent détruites. Les bâtiments subsistant deviennent tour à tour verrerie, filature de lin etc.
De cet établissement, il ne reste que la porte monumentale et un corps de bâtiment de briques et de pierre.
I. L'Ordre des Chartreux
A- L'Ordre
La Communauté de la Grande Chartreuse a été fondée en 1084 par Saint Bruno et six autres compagnons dans le massif de la Chartreuse au Nord de Grenoble, dans l'Isère. Cette communauté est officiellement devenue l'Ordre des Chartreux en 1140, après la mort de Bruno en Calabre, après avoir été appelé par Urbain II au service de l'apostolat.
Aujourd'hui encore, la maison mère et actuel monastère en est "la Grande Chartreuse" située à Saint-Pierre de Chartreuse (38) et le Prieur Général en est Dysmas de Lassus, moine français né en 1956.
Son blason comporte un globe surmonté d’une croix entourée de sept étoiles avec la devise suivante : « Stat crux dum volvitur orbis » (La croix demeure pendant que la terre tourne)
Les différentes guerres de religion ont énormément affecté l'Ordre qui fut contraint de fermer la majorité de ses maisons. Lors de la Révolution, les chartreux étaient considérés comme riches, vivant de leur travail agricole et sylvicole, métallurgiques etc. en dehors de leur vie drastique faite de louanges, prières et divers jeûnes.
En 1791-1792, la majorité des maisons françaises furent vendues comme bien national : ce fut le cas de celle de Thuyson-lès-Abbeville.
B- Les Chartreux
L'existence des chartreux se partage entre prières, méditation et travail. C'est une vie essentiellement contemplative. Pour "dégager" leur âme de la matérialisation, ils infligent à leur corps de dures privations : jeûnes et mortifications sont très courants. Végétariens, ils respectent avec la plus grande rigueur les jeûnes du Carême et de l'Avent.
A la tête de chaque monastère se trouve un Prieur qui dirige la communauté tant bien au spirituel qu'au temporel et matériel. Il veille au salut des religieux et jouit d'une grande autorité à l'intérieur de son couvent soumis au contrôle du "Chapitre général" qui lui rend visite tous les deux ans.
Le chartreux est vêtu d'une longue robe de laine blanche serrée à la taille par une ceinture de cuir blanc. Sur cette robe un scapulaire formé de deux pièces d'étoffe réunies autour du cou par un capuchon, reliées entre elles à mi-corps par deux bandes donnant ainsi la forme d'une croix.
II. La fondation de la Chartreuse de Thuyson.
A- La fondation
L’évêque d’Amiens Guillaume de Mâcon est un grand admirateur de l’Ordre des Chartreux et désire doter son diocèse d’une de ces maisons des enfants de Saint Bruno comme on les nomme également, dans un endroit isolé et éloigné de la ville, là où prière et méditation se marient à la sérénité des lieux.
Il achète alors avec le consentement de Philippe Le Bel, Roi de France, en juin 1299 la terre féodale de Bouveresse près de Grandvilliers. Malheureusement, le Révérend Père Dom Boson, « Général » des Chartreux, refusa de reconnaître cette terre car il la juge inappropriée, le sol étant stérile, l’eau manquante et la civilisation trop proche du lieu du projet. Tout ceci est en effet contraire à leurs principes.
L’évêque d’Amiens n’abandonne pas son projet de faire rentrer les Chartreux dans son diocèse et achète en 1300 aux Templiers leur maison du faubourg Thuison à Abbeville. Gérard de Villars, Maître des Templiers de France cède donc à Guillaume de Mâcon maison, chapelle, grange, cressonnière et dépendances appartenant jusque là à l’Ordre des Templiers. La charte de confirmation de cession est datée de 1302, soit deux ans plus tard, il convient en effet d’obtenir l’approbation du visiteur général de la milice du Temple pour confirmer cette cession et cela prend énormément de temps.
La maison des Templiers était bâtie sur le penchant d’une colline en bas de laquelle coule le Novion. Éloignée du cœur de la cité, les bâtiments sont malgré tout quelque peu dégradés et la chapelle Sainte Marguerite surplombe majestueusement l’ensemble. Celle-ci serait, d’après un manuscrit retrouvé dans La Grande Chartreuse la plus ancienne du comté du Ponthieu.
Guillaume de Mâcon rase les bâtiments en ruines et reconstruit le monastère puis donne l’ensemble à l’Ordre des Chartreux après acceptation du Général. Ce monastère est alors dédié à Saint-Honoré après construction en 1307 d’une église à hautes ogives et clocher dominant les bâtiments : l’église Saint-Honoré.
Au coté Nord de cette église était conservée l’ancienne chapelle des Templiers (Sainte Marguerite) et la première cour d’entrée donnait accès au sanctuaire réservé aux femmes. Je ne ferai pas détail de tout ces bâtiments, ce serait bien trop long mais il faut reconnaître qu’on ne peut qu’admirer l’harmonie de l’ensemble donnant au couvent les allures d’une enceinte fortifiée.
Le couvent fut consacré en 1307, l’église fut consacrée en l’honneur de Dieu et placée sous le patronage spécial de Saint-Honoré, évêque d’Amiens, fils d’Aymeric, comte de Ponthieu qui dédia sa vie à l’évangélisation des populations de Picardie.
Guillaume de Mâcon prouvera son attachement aux Chartreux de Thuison jusque sa mort le 19 mai 1308. Dans son testament, il lègue la moitié de ses biens à la « Chartreuse de Saint-Honoré à Thuison-lès-Abbeville ».
Les chartreux n’oublieront jamais leur généreux fondateur et, pour témoigner de leur éternelle reconnaissance, ils adoptent comme armoiries les propres armes de l’évêque « d’or grêlé de sable à la face d’azur chargé de trois fleurs de lys d’or ».
De bienfaiteurs en donateurs, de prieurs en prieurs, le monastère vit de dons et de leurs cultures, de leurs vignes, de leurs élevages sur la Bouvaque, de leur fabrication artisanale pendant plus de quatre siècles.
Puis arrive la Révolution ….
B- Le monastère : un havre de paix jusqu’ à la Révolution
Lors de la bataille de Crécy en 1346, préambule de la Guerre de Cent Ans opposant Philippe VI de Valois et Edouard III d’Angleterre, Comte de Ponthieu, la chartreuse a beaucoup souffert des hostilités, des impôts et autres frais imposés par la couronne d’Angleterre. Les Anglais ont voulu s’emparer de la cité et envahi les murs du couvent causant de nombreux dégâts. Au gué de Blanquetaque où ils furent vainqueurs, alors en partance pour Crécy, les Anglais semaient ruines et désolation sur leur passage, jusque sous les remparts d’Abbeville. La communauté fut réduite à la misère au lendemain de cette funeste bataille.
En 1374, l’armée anglaise envahit le Ponthieu toujours en quête de butins et ravage le comté entier. Les chartreux cultivaient leurs terres composées de vignes sur le coteau dominant le couvent et possédaient de nombreux troupeaux paissant en contrebas sur la Bouvaque, ce qui constituait leur principale source de revenu. Or, le passage des ennemis leur dévastant leurs troupeaux et leurs récoltes les laissait dans le dénuement le plus total.
C’est le Prieur Dom Anche de Vauvert qui redore quelque peu le blason du couvent fin du XIVème siècle. A sa mort en 1404, le domaine est quasiment redevenu comme avant.
Nous arrivons au XVIème siècle et le monastère de Saint-Honoré a gardé son âme originelle malgré tout, ainsi étagé sur les bords du Novion. Reprenant sa vie monastique et ses cultures, à l’écart de toute civilisation et de tout remous secouant la ville d’Abbeville à sa proximité, le couvent ne souffre pas de trop jusque moitié du XVIIIème siècle.
La grande entrée du monastère, face Nord se trouve face à Notre-Dame de la Chapelle.
Au-delà de cette porte, une première cour où se trouve le « parloir des Dames », là où les religieux recevaient les membres féminins de leur famille, les femmes n’ayant pas le droit d’aller au-delà de la clôture. Près de ce parloir, la chapelle Sainte-Marguerite, restée majestueuse avec ses arceaux gothiques et ses fenêtres en ogive d’inspiration templière, était destinée aux prières des femmes. En franchissant la porte, nous arrivons dans la cour d’honneur avec d’un coté les appartements destinés aux étrangers et de l’autre le petit cloître et la chapelle des familles (des moines). Tout au fond se trouvait la charmante église Saint Honoré avec son clocher surplombant tout le monastère.
La tour de l’horloge, symbole des chartreuses, se trouve à l’extrémité de l’église, angle sud, près du sanctuaire attenant au cloître.
Dans l’église, le fameux retable de la Vie de la Vierge (déplacé après la Révolution dans l’église Saint Paul), divisé en trois compartiments (cf. « le retable de la Vierge ») et initialement fermé par des volets qui malheureusement n’existent plus.
Le portail de cette église, un magnifique spécimen de l’architecture gothique du XVème siècle était entouré de puissants contreforts sur lesquels se dressait une haute statue à l’effigie de Saint Bruno, le fondateur de l’Ordre.
Le long de l’église s’étendait le coté nord du grand cloître à la forme d’un parallélogramme construit en pente afin que le côté sud vienne longer le bord de la rivière Novion.
Dans le préau du grand cloître se tenait le cimetière de la communauté où reposent plusieurs générations de moines. Une grande et unique croix de pierre, leur amène le repos. Lors de la Révolution, cette grande croix est saccagée et le nécrologue où est inscrit les noms de tous les frères inhumés est réduit en fumée, anéantissant plusieurs siècles d’histoire et d’archives.
Séparée des autres constructions et des dépendances comprenant basse-cour, étables, écuries etc. se trouvait la brasserie des frères chartreux placée plus près de la rivière.
Ainsi s’écoula la vie des frères chartreux quasi jusqu’à la Révolution.
En effet, le 2 novembre 1773, un grave accident ébranle la ville d’Abbeville. Par l’imprudence d’un garde d’artillerie nommé « Le Bègue », le magasin à poudre situé au niveau du bastion Marcadé explose. Les dégâts sont considérables, 967 maisons furent endommagées et 67 détruites, l’église Saint Paul est fortement touchée, 150 morts et 130 blessés sont à déplorer. La chartreuse s’en ressent fortement et de nombreux dégâts sont occasionnés. Alors qu’elle subit d’importants travaux de rénovation, ceux-ci sont stoppés afin de réparer les dégâts venus se rajouter et ceci, malgré le manque de ressources qui commence à se faire cruellement sentir. Malgré tout, l’église Saint-Honoré est restaurée en 1774.
C- La tourmente Révolutionnaire et la mort du couvent.
La chartreuse est toujours en plein travaux et le gros oeuvre se termine en 1787. Comme dans tout monastère, les "enfants de Saint Bruno" ne se souciaient guère des tourments de la vie politique, reclus dans le recueillement et la prière. Ils étaient bien loin de pressentir la terrible catastrophe qui allait éclater sur la France.
L'Assemblée Nationale commence par s'attaquer à la hiérarchie ecclésiastique, au Pape, aux évêques puis aux prêtres et aux moines. L'église devient "le fléau de la Nation" aux yeux d'une foule ignorante. Début 1789, plus d'une vingtaine de maisons du faubourg Thuison brûlèrent. Les chartreux, tout à leur dévouement, n'hésitent pas à donner asile aux malheureux pendant plusieurs mois, leur amenant gîte et couvert. Malheureusement, c'était le moindre des soucis des Révolutionnaires ne reculant devant aucun crime, aucune ruine. Averti, le Prieur en poste, Dom Benoît Hemay s'inquiète fortement pour son monastère et l'avenir de sa communauté.
Le 02 novembre 1789, l'Assemblée décrète que tous les biens appartenant au clergé soient mis à la disposition de la Nation. Cela signifie que pour s'emparer des couvents, monastères et autres abbayes, il fallait exproprier de façon systématique les religieux, quitte à les désigner hors la loi. En 1790, l'Assemblée décida la suppression des Ordres religieux et chargeait les municipalités de s'approprier les propriétés et les revenus des monastères dans leurs territoires respectifs.
C’est ainsi que, comprenant que leurs biens et leur cher monastère allaient être confisqués et réquisitionnés, que tout pour ce dont ils s’étaient battus allait être anéanti que les frères décident de disparaitre un à un, laissant derrière eux ce passé et sans que personne ne connaisse l’avenir.
La chartreuse ferme définitivement ses portes le 24 mai 1791.
Les Révolutionnaires s’en emparent et laissent les moines solitaires à leur douleur, plongés désormais dans une vie trépidante au milieu d’un peuple en plein délire.
III. De la Révolution à aujourd’ hui
Les biens du monastère : fermes, maisons, moulins, bois, terres, vignes, prairies situées à Thuison, Saint-Milfort, Val d’Abbeville, bouvaque, Laviers, Menchecourt etc. furent mis aux enchères de 1790 jusque fin 1792.
Les objets d’art sont dispersés. Le retable de la vierge part pour l’église Saint-Paul (il est aujourd’ hui conservé au Musée Boucher de Perthes), la chaire du XVème siècle arrive à Notre-Dame de la Chapelle.
La municipalité d’Abbeville émet alors le projet d’acheter le couvent pour y transférer l’hôtel-Dieu. La transaction eut lieu le 7 juillet 1791. Mais les dépenses s’annoncent considérables, les bâtiments ne s’y prêtent pas et le projet est finalement abandonné.
En 1793, les bâtiments sont de nouveau en vente. Les citoyens Sanson et Gronecheld l’acquièrent. Malheureusement en 1796, Sanson décide d’abattre purement et simplement la part de la jolie Chartreuse lui revenant càd l’église Saint-Honoré, les cloîtres et les bâtiments conventuels.
En 1804, ce qu’il reste de la propriété est vendue au Sieur Deray puis en décembre 1811 à Louis Adrien Royer, directeur de la verrerie de Romesnil (Seine Inférieure). On parle alors de la verrerie de Thuison. En 1831, l’un des associés fait faillite et amène la verrerie à la liquidation. Des verriers concurrents vont l’acquérir en 1832… pour la supprimer.
Un peu plus tard, on y trouve la trace d’une filature de lin tenue par M. Henri Gavelle qui fonctionne jusqu’en 1877.
Sur cette aquarelle ci-dessus, une cheminée fumante permet bien de se rendre compte de l’industrialisation des bâtiments restant. Nous avons peine à reconnaitre l’aspect religieux et rural des lieux, ne serait-ce que par la présence des deux chaumières accolées. L’arrière-plan nous rappelle la véracité des lieux avec la collégiale et les différentes églises de la ville, les moulins à vent des Monts Caubert.
Jusque 1910, les lieux seront plus ou moins à l’abandon puis les bâtiments sont rachetés et scindés en trois habitations que vont occuper des particuliers. Nous retrouvons la trace de trois habitations distinctes dès 1922 et une habitation plus en retrait, petite rue de Thuison, jadis occupée par M. Oswald Macqueron, grâce à qui nous retrouvons un peu de tout ce passé. En 1924, un certain M. Mariage, brasseur, occupe une des habitations que les beaux-parents de l’actuelle propriétaire achètent en 1926.
Ces bâtisses sont réquisitionnées par les Allemands lors de la seconde Guerre Mondiale afin de loger les soldats officiers laissant aux habitants les petites pièces secondaires. Tout cela fait que les bâtiments n’ont pas trop souffert pendant cette période. Seule la maison d’Oswald Macqueron est à l’état piteux aujourd’hui.
De nos jours, le portail d’entrée monumental subsiste toujours et reste l’emblème historique du passé tourmenté de la Chartreuse de Thuyson.
Merci à l'actuelle propriétaire d'une des habitations qui m'a permis d'aller la rencontrer et me faire partager un peu de son cadre de vie et de son histoire
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